mardi 2 novembre 2010

Qualités et Personnes : le Respect dans les peintures rupestres de Huashan

Les peintures rupestres de la Montagne aux fleurs

Pour aller voir les peintures rupestres de Huashan, "la Montagne aux fleurs", située près de la frontière avec le Vietnam, il faut aller prendre le bateau dans un petit village, puis remonter le fleuve. Pour éviter la dégradation du site, le chemin terrestre a été interdit aux voitures. Donc, un bateau emmène les visiteurs, qui ne peuvent que "toucher des yeux".

En fait, "Hua shan"  peut se dire "Fleurs dans la montagnes" ou "Peintures dans la montagne" : il y a équivalence entre peinture et fleur dans le terme " Hua "

Il pleut : la brume couvre les sommets des pics de ce relief dit karstique. Le long du fleuve, le vert de la végétation étincelle.


Il nous faut 30 minutes pour accéder au site. Surprise : le site est bâché. Le guide explique qu'une crue a sapé le terrain sous le site. Aussi, des travaux de protection ont été entrepris.


Le bateau approche. Il est possible de voir quelques peintures.


Le bateau se rapproche. Nous discernons des motifs : des hommes, un animal. L'animal est retourné sur le dos. L'impression donnée est celle d'une chute, chute de l'animal, chute des hommes qui écartent les jambes. Le guide insiste sur la difficulté de peindre dans un tel lieu.

Il est difficile de s'élever, mais il est facile de chuter. Or, ce qui est paradoxal, c'est que les figures évoquent, au contraire de la chute, le saut.
Là où il y a chute, là se trouve la plus grande élévation !


Le bateau se rapproche au plus près de la falaise. Je m'aide du téléobjectif pour préciser l'image.


Les hommes ont comme un bâton qui leur traverse le corps. Ou est-ce une lance qui les transperce ? Est-ce la représentation d'une lance qu'ils portent en bandoulière ? Est-ce une scène de chasse où les hommes entourent un animal abattu ?
De près, il est possible de distinguer un chien, des poignards dans les mains des hommes. Cela confirme la description d'un scène de chasse.

Une autre évocation surgit. Les jambes écartées font penser maintenant à une danse où les danseurs sauteraient. Une étoile dans un cercle évoque le soleil.Une danse consacré au soleil ?


Mais, si l'on écarte la projection figurative, on peut être sensible à la similarité entre la pliure des bras et des jambes. Cette pliure indique l'articulation des membres. Le chien, l'animal au sol,  ne possèdent pas cette pliure, cette marque de l'articulation. Cela suggérerait que la Qualité propre de l'homme soulignée ici est l'articulation.

Le bateau se déplace, nous amène à la vision d'une nouvelle image comprenant plusieurs dizaines de figures.


Une ligne horizontale accroche le regard. le long de cette ligne semble se déplacer un animal (un chien ?) Ici, ce qui frappe est la qualité de représentation ce cet animal en mouvement. Les pliures de ses membres donnent une impression de fluidité dans son déplacement. Autant le mouvement de l'animal apparait naturel, autant les mouvements des hommes sembles absents. Ce sont des signes qui se multiplient à l'identique. Sauf que ..


Une des figures est dotée d'yeux et d'une bouche. Elle semble attirer l'attention de l'animal. Alors que d'autres figures ont cinq doigts au bras, cet homme avec tête ne possède que trois doigts. Par contre nous distinguons des pieds tous identiques. En tout cas, l'animal nous parait présent, fort d'une énergie propre, humanisé par cette interaction avec la figure humaine.


Que se passe-t-il entre ces hommes stylisés et cet animal ? Est-ce une scène de domestication ? Ou le prélude à une chasse ?

 L'artiste (le chaman ?) saurait représenter un homme dans son mouvement, mais il multiplie les signes dès qu'il s'agit d'hommes. Seul un homme s'impose un peu plus humain que les autres.

 Nous donnant à voir de nouvelles figures, le guide indique : " voyez ces danseuses ".


Pointe la peinture au téléobjectif, je déplace mon regard sur la droite, vers l'arrière de l'animal. L'usure de la roche a dégradé la peinture. Effectivement, il y a des figures que je qualifierais plus de "féminines". Représentent-elles des danseuses pour autant ?


Ce sont des profils d'une taille plus petite que les figures avoisinantes. Elles donnent à voir comme des cheveux longs. Les ventres semblent arrondis. Une des figures semble porter une queue qui est attachée sur les fesses. L'articulation des membres est figurée de façon à suggérer une danse.

Lorsque je regarde l'image dans sa globalité, le long de la ligne, ces deux "danseuses" donne l'impression de suivre l'animal. Autour de cette procession, des hommes regarderaient et danseraient ?



Témoignage de claire 

L'écriture des Qualités

Pourquoi appeler ces images des peintures ? J'y vois plutôt de l'écriture. Des histoires sont écrites et sont transmises. Ces histoires parlent d'hommes, de femmes et d'animaux. Ces histoires mettent en scène des situations types. Les représentations d'un homme, d'une femme, d'un animal ne sont pas les signes d'être réels mais de Qualités : Qualité de l'Homme, Qualité de la Femme, Qualité de l'Animal. Je recompose l'ensemble de l'image autour des rapports à l'animal, en suivant la ligne horizontale.


Ces Qualités sont mises en relation :
- la Qualité Homme fait face à la Qualité Animal.
- la Qualité Femme suit la Qualité Animal, deux silhouettes dansant comme l'animal peut "danser" dans sa marche, portant queue et crinière comme un animal ; l'animal est "Un", mais les femmes sont "deux".

Les Qualités Animal et Femme sont entourées de multiples Qualité Homme : lignes articulées, énergie du soleil, trait de la lance ou du poignard.

Je suggère que nous tenons ici une des caractéristique de l'écriture chinoise. Cette écriture situe les individus et les objets par rapport à leurs Qualités respectives, au sein d'un système des Qualités. Ceci expliquerait la force culturelle des comportements associés à telle ou telle Qualité.

Quelles qualités sont ici symbolisées ?  Yau Shun Siu nous donne une piste : les différentes formes de respect dans les anciens pictogrammes chinois.

Le respect exprimé par les bras et les jambes écartées de l'homme se retrouveraient dans les pictogrammes de l'amitié, de respect et du respect de Dieu, où les mains sont présentées écartées

... en règle générale, à la différence des caractères formés d'une seule "main" indiquant un acte manuel et physique, ceux ayant pour composant deux mains (ou deux bras) ont souvent une signification propre à la culture chinoise. C'est le cas, par exemple, des caractères gong   saluer les mains jointes en signe de respect, ou de you   amitié, ou encore du caractère ruo saluer le Dieu. ..

Dans le tableau ci-dessous, nous voyons comment le pictogramme archaïque de l'homme indique l'usage des deux mains ouvertes. Par contre, le pictogramme de la femme elle-même suggère une femme en vue latérale, courbée. Ceci se rapproche de la position "arrondie", "latérale", des femmes qui suivent l'animal.

Archaïques Ren arch.png U5973-radical-38 early-form.svg Zi arch.png Ri arch.png Yue arch.png Shan arch.png Chuan arch.png
Sigillaires Ren sigil.png Nuu sigil.png Zi sigil.png Ri sigil.png Yue sigil.png Shan sigil.png Chuan sigil.png
Modernes


rén












yuè



shān



chuān
Senshommefemmeenfantsoleillunemontagnerivière

Si mon hypothèse est juste, l'image de la Montagne aux fleurs suggère trois logiques du respect.

1/ le Respect de l'Homme pour l'Animal
2/ le respect des Femmes pour l'Animal
3/ le respect des Hommes pour le respect Femme/Animal.

Cependant, comme l'association Femme/Animal classe l'homme du coté de la nature, le groupe des hommes est caractérisé par la technologie : maîtrise de l'énergie (étoile dans le cercle), armes, capacité à défier et à tuer un animal.

 La logique des Respects dans la culture chinoise

L'attitude agenouillée de la femme est usuellement interprétée comme l'expression de son respect envers son mari. Par exemple, le site chine-informations.com dit à propos de l'idéogramme de la femme :


" représente une femme agenouillée devant son époux par déférence. Les pictogrammes les plus anciens la représentent de face, tandis que c'est de profil qu'elle apparaît dès la graphie sigillaire ;"

La femme est agenouillée. Elle témoigne du respect, mais envers qui ? Son mari ? C'est ne pas comprendre l'enjeu du Respect comme système de Qualités. Ce n'est pas son mari que la femme respecte, mais sa Qualité de Femme. Et c'est en tant qu'elle respecte sa Qualité de Femme que son mari est respecté en tant qu' Homme. Dans beaucoup de messages précédents, à propos de tel ou tel trait de la culture chinoise, il est apparu cette constante que l'Homme doit, pour fortifier son énergie, se ressourcer dans la Femme comme Qualité.

Dans la culture chinoise, et dans d'autres cultures d'ailleurs, il est demandée à la femme d'être Respectueuse dans son comportement. Si la femme ne l'est pas, alors le mari apparait déconsidéré.

Peut-être le lecteur trouvera que j'extrapole trop de quelques écritures tracées à l'oxyde rouge sur une falaise à pic sur un fleuve. Mais il y a bien une logique de procession où deux femmes suivent en dansant un Animal. Je pose que cet Animal représente la Nature. C'est un lieu commun d'assigner à la Femme la Nature et l'Animalité. Par exemple, nous connaissons tous le mythe de la Mère comme Louve. Ainsi, les fondateurs de Rome, Remus et Romulus, ont été nourris par une Louve.

L'enjeu de la Femme est de se maîtriser. Tout comme la Nature doit se maîtriser. Ainsi, la danse est un spectacle ou la femme témoigne de son énergie comme Qualité de Nature et comme art de la maîtrise de cette énergie.

De même, dans le rapport sexuel, la femme doit se contrôler : son excitation, ses secrétions doivent pouvoir se transformer en énergie apte à fortifier l'énergie de l'Homme.

Regardons de nouveau dans l'image de Huashan,  le face à face entre l'homme muni d'yeux et de bouche et l'animal. La qualité de l'Homme se trouve dans l'Animal, et à ce titre l'Animal doit être respecté. Mais pour que tous les hommes puissent respecter l'Animal, il faut la dualité des relations à l'Animal :
- un homme courageux qui confronte son regard et sa voix au regard de l'Animal
- des femmes qui, participant de l'Animalité, transforme cette animalité en spectacle.

Complément sur le site : peintures accompagnant les morts ?

Sur le site balades en chine  ces informations complémentaires :
Huashan, quelques maisons adossées à un cirque d'imposants pitons karstiques au bord de la rivière Minjiang. 

A environ 40 mn en bateau, "la montagne fleurie", sur une falaise d'environ 40m de haut des centaines de silhouettes humaines et animales ont été peintes à l'ocre rouge. Signalées dans un ouvrage géographique du XV°s, ces peintures rupestres n'ont été identifiées qu'en 1950. C'est le site le plus spectaculaire des 80 répertoriés le long des rivières Ming et Zuo. Les falaises sont toutes orientées au sud et peintes avec le même pigment: du rouge d'hématite lié au sang de bœuf. Les personnages ont entre 0,40 m à 3,5m. Une des questions à propos de ces peintures est celle de leur exécution, les falaises tombant à pic dans la rivière. 

L'hypothèse la plus vraisemblable est celle des cercueils suspendus, une pratique d'inhumation répandue dans les ethnies de cette région. Les cercueils étaient descendus le long de la paroi rocheuse à l'aide de cordes et déposés sur des supports, une planche maintenue en équilibre par des chevilles fixées dans la roche.

Jambes écartées, bras écartés :  la femme Totem

La figure "jambes écartées, bras écartées" me rappelle des figures de statuettes d'autres cultures. Une recherche m'amène au Musée du Quai Branly à Paris, où on peut voir ce Totem qui était suspendu dans une Maison des hommes d'une tribu de Papouasie-Nouvelle-Guinée.


Papouasie-Nouvelle-Guinée, Moyen Sepik, début du 20e siècle, bois, pigments, fibres végétales, 118 x 64,5 cm, don Robert Chauvelot, 71.1914.1.7
" Ce crochet, impressionnant par sa taille, était installé dans les maisons cérémonielles des hommes. Il figure une femme, ancêtre primordiale d'un clan. Les motifs peints sur ses épaules et son ventre reproduisent les scarifications réservées aux ancêtres et à certaines femmes de très haut rang. Son sexe ainsi que le crochet sont cachés sous une jupe de femme en fibres. La présence d'une figure féminine dans un lieu exclusivement réservé aux hommes initiés, marque le rôle complémentaire des deux sexes dans les sociétés de Nouvelle-Guinée. 

On pendait à ces crochets des sacs de fibres qui pouvaient contenir des galettes de sagou (fécule extraite du tronc d'un palmier) que les femmes mariées apportaient aux hommes réunis dans la maison cérémonielle. Des petits sacs étaient aussi suspendus dans lesquels étaient déposés des offrandes à l'ancêtre représenté. 

Lors des initiations des jeunes garçons, ces-derniers passaient sous les jambes écartées de cet ancêtre féminin, rejouant en quelque sorte leur naissance. Ce corps féminin ne se réduit pas à un seul niveau de lecture. La position des bras et des jambes repliées évoque le monde animal. Cette multiplicité de lecture des formes est caractéristique de l'art du Sépik."

Ainsi, cette figuration "jambes écartées, bras écartées" rassemblerait à la fois la figure de l'accouchement et la figure du respect du au Totem. Cette figuration joue également avec la figure de l'Animal renversé sur le dos, pattes écartées.

Que signifie cette figuration ? Je suggère ceci : "Devenir Homme, c'est reconnaître que l'on sort du ventre de la femme. C'est regarder l'Animal en face".

L'autre écriture

En Chine, l'écriture formule les contrats sociaux entre la Société et la Nature, entre les Hommes et les Femmes.

En Occident, notre approche de l'écriture est une mise en correspondance entre des conventions de nature et de quantités avec des objets. 
Pour nous, occidentaux, l'écriture indique les Qualités des Objets échangés. Voici un extrait de la page Wkipédia sur la naissance de l'écriture :

" Les transactions entre contrées éloignées nécessitèrent la mise en place de contrats. Ces contrats étaient des boules creuses de glaise enfermant des calculi, des petites formes en argile (glaise) symbolisant des nombres sous trois aspects :
  • des sphères,
  • des cônes,
  • des cylindres,
auxquels étaient additionnées des formes conventionnelles pour désigner les choses échangées. En cas de contestation, la boule sèche sur laquelle on avait apposé son sceau pour contrôle était brisée, et la quantité de calculi et la livraison étaient comparées.

Ces transactions devenant de plus en plus complexes, le système de calculi fut conservé mais, pour se souvenir de la teneur du contrat, en sus des sceaux, des signes furent dessinés sur l’extérieur de la boule de glaise encore fraîche, afin d'indiquer le contenu de cette boule, tant en quantité (le nombre) qu’en qualité (les choses contractées). Pour ces signes, un bâton assez fin nommé calame était utilisé. Une extrémité du calame était coupé en coin ou en biais, l’autre extrémité étant coupée d’équerre : l'objet permettait ainsi de dessiner un coin, un rond et un cône, représentant ces calculi, et de dessiner les formes conventionnelles."

Ainsi, les premières écritures avaient pour objectif de garder la mémoire des termes des contrats entre un client et un fournisseur. Avec la mémoire écrite, la primauté est donnée aux Objets. Nous partons des Objets pour remonter aux Qualités.

La relation Client Fournisseur n'est plus basé sur l'invocation d'un respect mutuel, n'est pas basé sur un partage de libations alcoolisées et de l'ivresse qui s'ensuit. La relation Client Fournisseur devient une histoire de règlements exacts et de dettes en instance de règlement.

Nous en venons à oublier que les Qualités peuvent s'imposer des Objets afin de concrétiser des engagements sociaux entre différentes classes d'individus.

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